Non... Ne lui dites pas que c'est... C'est
elle. Putain. Putain ! Putain, putain, putain. Mais putain ! Neharia psalmodie un cortège d'insultes et de grossièretés dans son crâne. Pourquoi ? Pourquoi il a fallu qu'elle sorte ? Elle ne pouvait pas rester au palais, à préparer son foutu prochain déplacement à la Capitale, non.
Non, évidemment que non. Malgré les mises en garde de sa sœur, il a fallu qu'elle sorte. Il a fallu qu'elle sorte et qu'elle tombe sur Eliara Tyrell en plein milieu du marché. Parmi toutes les saloperies d'étales sur ces deux foutus hectares de marché, il a fallu qu'elle tombe sur celui où était,
fortuitement, Eliara Tyrell.
Evidemment. Putain. Mais putain ! On n'aurait pas pu la prévenir ? Et puis pourquoi elle est aussi sublime, aussi ? Hein ?
Neharia regarde la silhouette d'Eliara Tyrell se perdre à travers la foule dense du marché. L'esprit ressasse les mots :
je suis désolée, je dois y aller, il se fait tard et j'ai un rendez-vous important avec Neharia Martell, demain. Putain. Elle est maudite.
Demain, Eliara Tyrell se présentera aux jardins aquatiques, et
demain, Eliara Tyrell découvrira que Neharia Martell est en fait l'inconnue qui lui a foutu la main à la cuisse et qui a continué de l'appeler
ma biefoise durant tout ce temps (à défaut d'avoir réussi à glaner un nom, et parce que les biefois ont cet accent très marqué)... Encore heureux qu'on l'ait arrêtée avant qu'elle ait eu l'occasion d'entraîner l'héritière au coin de la rue.
Putain. Pour quoi elle va passer, maintenant ?
Sous une alcôve privée aux abords d'un magnifique plan d'eau, Neharia contrôle le moindre détail du petit salon qui doit accueillir Eliara Tyrell. Plus que jamais, tout doit être parfait. On va déjà la prendre pour une dépravée (ce qu'elle est, sans se cacher, mais pas avec les dirigeants d'autres régions), il ne manquerait plus qu'on la prenne aussi pour une rustre...
« -
Princesse, mademoiselle Tyrell vient d'arriver. La voix grésille à travers son oreillette.
-
Bien. Amenez-la moi. »
La carafe de vin est fraîche. Le thé est chaud. L'argenterie est lustrée et la porcelaine est étincelante. Après un dernier coup d’œil, la princesse se redresse et attend, droite comme un piquet, non loin de la table. Sa tenue est sobre, un jumpsuit aux couleurs du soleil... Contrairement à hier, où elle se baladait limite en sous-vêtements, avec cette robe toute en dentelle et en transparence.
Bref. Bref !
Neharia adresse une injure murmurée aux dieux (à la place d'une prière, puisque ces dernières ne paraissent pas marcher pour elle), et s'efforce d'afficher au moins la moitié d'un sourire pour accueillir Eliara Tyrell. C'est un échec : il y en a à peine le quart. En revanche, ses mâchoires, elles, sont crispées comme il faut, et arrivent tout juste à se détacher l'une de l'autre lorsque vient le moment des présentations.
Officielles. Parce que la voila qui traverse la porte. Eliara Tyrell. Aussi splendide que la veille. Une main est tendue dans sa direction.
«
Eliara Tyrell... Donc. Enchantée de faire votre connaissance. Elle se racle nerveusement la gorge.
Je suis Neharia Martell, princesse de Dorne... Comme vous devez l'avoir deviné, maintenant. »
Historiquement, Dorne et le Bief se détestent. Si leurs relations modernes sont cordiales, Neharia aurait voulu les améliorer avec la fille, puisqu'elle ne s'entendait pas du tout avec le père (ou juste en surface). Et voila qu'elle sabote d'avance toutes ses chances pour une histoire de coucherie... Qui n'a, à son plus grand damne caché, même pas abouti...
Super. Franchement super. Elle ferait aussi bien de commencer par s'excuser.
«
Je suis désolée de vous avoir importunée, hier. Je n'avais aucune idée de qui vous étiez. Si ma présence vous est gênante, parce qu'elle l'est assurément, pour une jeune fille qui découvre que la prédatrice et la princesse ne font qu'une seule et même personne,
je peux tout à fait faire dépêcher ma sœur en mes lieu et place. »